La Muse Chapter 4
LA MUSE
Chapitre 4
Par David Inookaminoma
Aline Hō, souriante, pimpante, quitta les bras de son petit-fils auquel elle confiait les clés de sa villa et s’engagea dans le couloir d’embarquement. Le jeune homme veilla à ce qu’elle franchît bien le contrôle et lui adressa un dernier signe de main plein de gaieté, juste avant qu’elle ne disparût.
D’un coup d'œil sur le panneau des arrivées, Soan sut à quelle porte il devait maintenant se présenter pour recevoir son invité en provenance d’Allemagne.
Il marcha dans la direction indiquée par les panonceaux, longeant les larges baies vitrées sur lesquelles le soleil cognait déjà fort. Au-delà, la vue sur les pistes étonnait par le gigantisme de celles-ci. Parvenu d’un pas presque impatient au point où il accueillerait bientôt Meike, il s’installa dans un fauteuil, arrosant sa gorge d’une lampée d’eau minérale.
Aussi instinctivement que depuis qu’il avait fait sa connaissance, il se connecta sur le profil du jeune mannequin. Son intérêt se porta, comme à chaque fois, sur ses quelques photos de nu. Son œil scruta les lignes corporelles du mannequin, tandis qu’il se mordillait les lèvres, les sourcils légèrement froncés. Il aurait tant aimé être à la manœuvre quand ces clichés avaient été réalisés, sentir les ondes de cette muse au charme allant, la voir de plus près. De beaucoup plus près. La nature avait gâté Meike, à n’en point douter.
Quand l’Allemand apparut dans le hall, le temps sembla se suspendre à sa grande taille, sa silhouette mince dont Soan pouvait deviner, sous l’impeccable tee-shirt blanc qui collait à sa peau, le corps bien entretenu d’un nageur. Son cheveu en pétard lui donnait des airs de “je suis jeune et dingue” qui épousait parfaitement la lumière naturelle de son visage. Son jeans serré chérissait ses cuisses toniques, comme un second épiderme. Son teint général indiquait qu’il avait profité du soleil estival.
“Bon sang !” marmonna Soan en se levant. Partagé entre l’envie de laisser son iris dévorer Meike et celle de se mieux contrôler, il prit une profonde inspiration puis se signala au mannequin d’un simple geste manuel.
Meike arbora un sourire qui causa l’effet d’un ippon sur le photographe, lequel s’obligea à respirer lentement entre ses lèvres entrouvertes tandis que Meike avançait vers lui. Il ravala sa salive le temps de leur poignée de mains. Il lui parut que la paume du visiteur avait enveloppé la sienne dans un cocon de douce fermeté.
“Reprends-toi”, pensa Soan.
Il se rappela son coach de taekwondo lui bottant les fesses après l’exécution aléatoire d’une technique de combat.
“Salut, Meike ! Sois le bienvenu !”
“Danke !” répondit Meike. “C’est la première fois que je mets les pieds en France !”
Soan avait déjà voyagé en Allemagne, plutôt en Bavière. Il avait inscrit dans ses souvenirs, et dans la mémoire de son appareil photographique, ses paysages époustouflants autour des lacs et des montagnes, et ses sites historiques tel que le château de Neuschwanstein.
“As-tu fait bon voyage ? As-tu faim ?”
“Bon voyage, merci. Oui, j’ai faim.”
“Je connais un petit restaurant où on peut manger léger.”
“Parfait !”
“C’est moi qui régale !”
“Non”, posa Meike avec détermination, “je ne peux pas accepter ça. Je veux t’offrir ce repas pour te remercier de ton invitation.”
“Tu as l’air d’y tenir alors d’accord ! Pour la peine, je prendrai le menu le plus cher.”
Ils rirent en prenant la direction que Soan indiqua.
Après un bref passage aux toilettes pour se rafraîchir, les deux jeunes hommes s’installèrent face à face à une table dont on pouvait se demander si elle avait vraiment été conçue pour le confort du client.
Au grand soulagement de Meike, l’Anglais de Soan, fluide et léger, le mit à l’aise. Coup de canif dans la réputation faite aux Français d’être incapables d’apprendre les langues étrangères.
Au risque de l’insistance, Meike scannait et scannait encore le visage de Soan, somptueux mélange de gènes européens et asiatiques. Le jeune homme lui parut raffiné et erronément fragile. Sa chemise blanche ouverte jusqu’à mi-poitrine, laissait deviner les contours très raisonnablement volumineux et bien fermes de ses pectoraux. Elle contrastait le teint de sa peau subtilement basanée et soulignait ses épaules solides, perceptibles sous les plis du tissu lorsqu’il remuait.
Et que dire de ses mains ? De longs doigts fins, des paumes assez carrées… Lors de la poignée de main, Meike avait perçu une douceur au toucher qui le perturbait encore.
Le cheveu noir de Soan tombant sur son front, telles les branches d’un saule-pleureur sur la rivière tranquille, dissimulait ses iris. Soan le regardait alors comme un fauve tapi dans la forêt. Meike adorait son geste élégant pour dégager son front de ces mèches rebelles.
“Comment es-tu devenu photographe ?” demanda-t-il.
Quand il était gosse, Soan prenait des photos en série de son lapin et de son chien, sous à peu près tous les angles. Il se baladait autour de la maison familiale afin de dénicher un paysage à immortaliser. Mais l’envie de développer son talent lui vint plus tard :
“Quand mon attirance pour les garçons s’est affirmée, j’ai commencé à construire des sortes de scénarios pour en photographier certains dans des lieux et des situations différents. Et très vite, j’ai adoré mettre en scène des couples.”
“La photo que je préfère sur ton site”, indiqua Meike, “c’est celle qui présente les mains d’un couple…”
“Celle-là”, approuva Soan, “c’était deux ados hyper mignons ! C’était leur première histoire d’amour. Ils adoraient se caresser les mains ; je trouvais qu’ils le faisaient de manière érotique.”
“L’image est élégante et délicate…”
“Merci ! A toi de me dire d’où vient ton envie de devenir mannequin.”
Meike hésita, fouilla le regard de Soan puis osa :
“Un de mes amis m’a photographié pour mon anniversaire de 13 ans ; il prétendait que j’en faisais 16 ou 17. J’aimais déjà m’habiller avec de beaux vêtements. Il me disait que j’avais de bons atouts physiques pour devenir mannequin. C’est lui qui a réalisé les nus… Je me suis dit que je devais faire attention à mon allure et tenter quelque chose. Pour le moment, c’est compliqué de concilier les études avec ce projet mais je veux y arriver.”
“Tu viens de m’expliquer comment ton ami t’a repéré. Mais je te demandais d’où provenait ton envie.”
“William…”, lança Meike. “Mais pas seulement lui ! Je suis intéressé par les parcours d’autres gars.”
“Mais tu rêves de lui. J’en déduis que tu as de l’admiration pour lui.”
“Je voudrais suivre son exemple, m’inspirer de ce qu’il a fait, être aussi déterminé que lui.”
Soan buvait les paroles de Meike comme du petit lait. Les yeux du mannequin pétillaient comme un bon Champagne quand il évoquait son envie de défiler pour des grandes marques de vêtements, de porter fièrement leurs costumes, leurs pantalons ou leurs sous-vêtements. Même s’il y faisait allusion de temps en temps, il finit par se passer de la référence de William pour se projeter lui-même sur le plateau d’un photographe et donner de sa personne pour représenter au mieux les marques, et pourquoi pas, devenir le modèle de choix d’une seule marque.
Amusé, Soan leva une main pour le stopper :
“Désolé, je parle trop !”
“Non pas du tout”, contesta aimablement Soan. “Mais je propose que nous prenions la route pour la villa.”
“Oui, c’est vrai que nous avons terminé !” constata Meike, rieur devant les deux tasses de café vides.
Il se leva en même temps que Soan, brandit sa carte bancaire sous le nez du serveur qui venait les saluer.
“Merci beaucoup”, dit Soan.
Dans la voiture de ce dernier, rapidement élancée, retentirent les notes électriques d’une des playlists musicales préférées du jeune photographe : “Måneskin”, dans laquelle avaient été rassemblés tous les titres disponibles du groupe. Sur le siège passager de la Yaris rouge, Meike se balançait en rythme. Soan, derrière ses lunettes noires, marmonnait les chansons tout en conduisant.
Après environ trois-quarts d’heure de route, la Toyota entra par le portail électrique de la villa devant laquelle les yeux de Meike s’ouvrirent en grand. Soan se contenta de préciser que ses grands-parents avaient bien gagné leur vie dans le commerce de vêtements.
L’information sembla mettre Meike sur pause ; Soan éclata de rire.
Valise en main, Meike suivit Soan dans l’habitation qu’il visita en sa compagnie : l’espace de vie aérée et lumineux au rez-de-chaussée carrelé de blanc chaleureusement réhaussé par quelques touches de couleurs vives, grâce à un vase jaune, à un pan de mur rouge ponceau ou encore à une collection de bibelots vert menthe, donnait sur une cuisine américaine dont le mobilier et les équipements puisaient dans la modernité.
Quelque part dans un couloir que Soan pointa d’un doigt, la chambre d’Aline côtoyait sa salle de bain.
Les deux jeunes gens gagnèrent rapidement l’étage où le guide désigna, face à la sienne, la chambre de Meike dotée d’une petite terrasse donnant sur la piscine. Perché là, le jeune Allemand inspira profondément et exclama sa très bonne surprise : la propriété était partiellement clôturée par un mur, côté route, mais restait largement ouverte côté océan. Les rochers déchiquetés servaient de barrière naturelle à toute intrusion par cet endroit.
“Merci pour cette invitation”, insista-t-il auprès de Soan.
“Fais-moi une promesse”, dit l’hôte en se dirigeant vers la porte, “sens-toi comme chez toi !”
“Est-ce que je suis autorisé à bronzer et me baigner à poil ?”
“Que crois-tu que je fasse quand je suis seul ?”
Et la porte se referma sur Soan qui la rouvrit aussitôt :
“Au fait, Meike, quand tu seras installé : j’ai un truc à te montrer.”
Sentant dans la voix de Soan une forme d’enthousiasme qui frisait l’excitation, Meike préféra bousculer l’ordre des choses.
“Je m’installerai après.”
Il suivit Soan qui le mena dans le couloir jusqu’à une autre chambre où un carton haut hermétiquement fermé, fiché sur roulettes, attendait le long d’un mur. Soan le lui désigna :
“C’est pour toi…!”
Meike fronça les sourcils, interrogeant le photographe d’un regard suspicieux. Soan lui montra une sorte de poignée qu’il fit pivoter. Meike put alors ouvrir tout l’avant du carton comme les portes d’une armoire. A l’intérieur, il découvrit une penderie et des étagères en tissu. Des vêtements sous housses étaient alignés sur cintres. Meike regarda Soan d’un œil perplexe.
“Soan, qu’est-ce que c’est ?”
“Tu as le droit d’ouvrir. Mais sois délicat, rien ne m’appartient”, répondit le photographe qui plongea une main dans l’une des étagères. Il en sortit une boîte griffée d’un CK qu’il tendit à Meike. “Celui-ci, c’est cadeau !”
“Des jockstraps”, conclut Meike, d’un bref éclat de rire.
“Je t’ai dit que je voulais te photographier en jockstrap.”
“Non, tu as dit exactement : “je veux te voir en jockstrap” !”
Ils s’observèrent. Un signe de tête discret de Meike fit office de remerciement. Il ouvrit la boîte : il souleva, moue amusée aux lèvres, deux jockstraps blanc et noir dont les ceintures arboraient des lettres multicolores.
“Bien vu !”, reconnut Meike qui se tourna vers les cintres.
Il lut les marques sur les housses. Trois de ses marques préférées. Il n’en revenait pas. Il saisit une housse Boss qu’il déposa délicatement sur le lit avant de l’ouvrir. Ses yeux devinrent tout ronds. Du bout des doigts, il caressa le tissu et longea les coutures.
“Costume noir extra slim en laine mélangée”, décrivit Soan, “C’est une taille 38 : parfait pour ton 6.10 feet. Tes mensurations sont parfaites.”
Meike retenait son souffle puis avoua :
“Je n’en ai jamais porté de ma vie…”
“Il y a aussi une chemise en jersey stretch pour accompagner le costume, quelques cravates et deux ou trois paires de Derby”, continua Soan.
“Comment as-tu fait ?”
“J’ai des contacts…”
Meike considéra les autres housses. Il caressa celle dans laquelle pendait le costume d’une autre marque. Soan lui tendit d’autres boîtes :
“Les caleçons et les jockstraps sont à toi. Ce sont des cadeaux.”
Les yeux du mannequin s’arrimèrent à ceux de Soan :
“Je te remercie du fond du cœur… Je suis frustré d’ignorer comment tu as fait…”, dit Meike qui tendit sa main droite au Français.
“Pas de shooting aujourd’hui, d’accord ? On se repose.” indiqua Soan qui, au moment de quitter la pièce, se rendit compte que Meike se tenait face aux vêtements, les yeux fermés, la tête légèrement inclinée. “Tout va bien, Meike ?”
“Je m’en veux d’avoir douté de tes intentions…”
“C’est normal que tu sois sur tes gardes. Je vais prendre quelques minutes pour gérer mes ventes. Fais comme chez toi !”
Meike hocha la tête de haut en bas.
“Pourquoi ? Pourquoi tu fais tout ça : m’inviter ici et obtenir ces vêtements ?”
“Je suis mon instinct.”
Les deux hommes se fixèrent dans les yeux. Puis Soan sembla glisser hors de la pièce.
(À suivre)